Quand je serai grand je serai le Père-NoëI – Grégoire Solotareff

Cet article est une analyse de l’album afin d’obtenir quelques éléments de compréhension supplémentaires.

Le titre

C’est une invitation à l’identification pour l’enfant. Mais il y a une ambiguïté : l’article défini « le » et non « un » comme on le trouverait dans « quand je serai grand je serai un… ». Cela suppose que la notion de Père-Noël existe, ce qui est vrai dans la réalité (de l’enfant qui lit), mais faux dans l’histoire (du moins au début). Cette phrase ne peut donc s’appliquer qu’au désir de l’enfant qui lit et non au héros de l’histoire pour qui devenir le Père-Noël n’est pas une ambition qui vient de lui-même mais d’un élément extérieur. Cependant, on remarque dans la personnalité du héros, toute une série de prédispositions à devenir le Père-Noël. L’identification est propre à sa qualité d’enfant, mais reste partielle à cause de ses prédispositions.

Ressemblances avec le Père-Noël : prédestination à devenir Père-Noël

1) Ses vêtements rouges et blanc ; bonnet et bottes rouges.
2) Il ressemble à un lutin : généralement, on représente le Père-Noël fabricant des jouets en étant aidé par des lutins.
2) Ses cheveux noirs : même si cela s’oppose à la barbe blanche du Père-Noël, c’est justement par un système d’opposition qu’est crée le lien, plus que s’il avait été blond ou roux.
3) Sa couleur préférée est le rouge (réponse à ses parents qui lui demandent pourquoi ses joues sont rouges).
4) Il s’appelle Noël.

Ressemblances avec un enfant ordinaire : identification

1) Il va I ‘école et par en vacances avec ses parents.
2) Il éprouve de la peur, d’abord pour un bruit dans la forêt, puis pour le noir lorsqu’il rêve qu’il dort dans la forêt.

Éléments symboliques de l’histoire :

1) La forêt : la peur, qui n’apparaît qu’au début du récit, et elle est liée à la forêt. On note par ailleurs, le lien entre ce lieu et le fait que l’enfant fait un rêve dans ce lieu : en psychanalyse, la forêt, par son obscurité et son enracinement profond, symbolise l’inconscient. Selon Jung, les terreurs de la forêt, comme les terreurs paniques, seraient inspirées par la crainte des révélations de l’inconscient.

2) La lettre :
a) De ce point de vue (symbolique de la forêt), la lettre que trouve le héros dans la forêt symboliserait une révélation intérieure, que le lecteur pouvait attendre par la personnalité du héros.
b) L’écriture de la lettre est toute tordue, ce qui rappelle une écriture enfantine.
c) Le tutoiement et style enfantin : répétition « cette lettre et ce sac » ; dessins.
d) Pacte secret : interdiction de révéler la trouvaille ce cette lettre (véritable pacte, car pour un enfant, il est difficile de tenir sa langue…).
e) Trois petits personnages ont signés cette lettre : ils sont assimilables à des petits anges gardien, comme issus du monde intérieur et imaginaire de l’enfant.


Les couleurs

Dans tout le livre, on trouve une prédominance du rouge et du bleu, mis en valeur par le noir et le blanc.

1) Le rouge :
On trouve cette couleur sur les pages de garde (début et fin), l’habit du petit garçon, le grand sac plein de jouets, l’habit des trois magiciens, les intérieurs des lettres dans le mot trouvé dans la forêt, le grand lit perdu au milieu de la forêt (rêve), le lit dans sa maison, le traîneau, les paquets cadeaux.
Il s’agit du monde intérieur. Tout ce qui est rassurant, tout ce qui est rouge a en générale des formes rondes, des volutes (exemple : le lit dans la forêt, et encore plus le traîneau qui marque l’aboutissement de l’évolution de la personnalité du héros). Les volutes sont cependant signe d’un tourment intérieur mais aussi du cycle de la temporalité.
Les objets rouges ont tendance à grossir : le sac est encore plus gros le lendemain du jour de sa découverte qu’il ne l’était le jour même, pour devenir intransportable à la fin sans traîneau ; le lit dans la forêt est démesuré (marque une sorte d’enclos qui le protège, la peur en est amoindrie : « C’était un rêve agréable qui faisait quand même un petit peu peur »).
Le héros lui-même grandit, et sur la dernière image, le traîneau gigantesque tient presque une page entière. Le rouge est donc la couleur positive dans cette album, qui gagne sur le bleu.

2) Le bleu :
Le bleu très marqué de la forêt = l’angoisse. Dans le rêve, le bleu est strié du noir des arbres sur un plan horizontal, pesant, régulier et uniforme. Le bleu clair dans la neige marque la présence constante, même si elle n’est pas pesante, de la symbolique de la peur et de l’angoisse du monde extérieur.
La couleur des chapeaux des trois magiciens = la dualité du monde, mais d’une manière qui n’est pas effrayante (formes amusantes dans le bleu des chapeaux). En première page, le petit doigt en l’air symbolise non seulement le silence (pacte secret passé avec le héros), mais aussi la méfiance, puisqu’ils apparaissent comme des petits guides intérieurs qui montrent à Noël le chemin à suivre pour parvenir à son but, un peu comme l’étoile qui guide les Rois Mages (auxquels les trois magiciens nous font d’ailleurs penser) vers Jésus.
La couleur de la nuit et du ciel nocturne, la couleur de la chaise et de la table de fabrication des jouets = couleur profonde. Il s’agit du monde extérieur, des craintes et angoisses. Dans la nature, on ne rencontre qu’un bleu fait de transparence or ici, le bleu est rempli de noir.
Il s’agit d’une couleur froide (cf. lorsqu’on la trouve dans la neige) qui porte en elle la contradiction du jour et de la nuit. On parle de peur bleue.

3) Le jaune:
On retrouve essentiellement cette couleur dans les arbres. Elle s’oppose au bleu, puisqu’elle représente la lumière, donc le jour opposé à la nuit. Par ailleurs, elle apparaît sur des arbres dont la position est verticale, donc stable, et dont les racines sont apparentes (équilibre). L’idée que nous pouvons dégager ici est celle d’un mouvement transcendantal, dirigé vers le haut (qui montre le trajet que Noël suivra lors de son évolution).
Après avoir lu la lettre, Noël entend un bruit, et la représentation stable et droite se substitue à une vue plongeante, dirigée vers le bas, où les troncs des arbres deviennent gros et
impressionnants (perte d’équilibre). Remarquons que sur cette double page, le rouge est en faible quantité…
La couleurs jaune du bec de l’oiseau est plus orangée, et notre regard est attiré par celui-ci au moment du bruit, comme s’il en était la cause. Nous pouvons penser à un appel, c’est-à-dire à la nécessité pour le héros de prendre connaissance de ses peurs pour pouvoir ensuite mieux les combattre. Cette peur et cette menace trouveront une figure rassurante et maitrisable dans la personnalité des magiciens, qui s’étaient alors déguisés en oiseau (et en un lapin gris-jaunâtre).
Le jaune est donc une sorte de guide, semblable à la couleur d’une étoile, comme celle des Rois Mages. On trouvera une explosion de cette couleur à la fin de l’histoire, sur le fond de la pièce où le Père-Noël fabrique ses jouets : ce jaune est alors chaleureux, et sa prédominance sur cette double page marque la victoire de la lumière et du jour sur les angoisses de la nuit, où la présence du bleu est réduite à la fenêtre, symbolisant le monde extérieur. Ainsi, le Père-Noël a acquit une sagesse suffsante (barbe), et le monde intérieur (jaune) est maintenant assez fort pour combattre le monde extérieur qui ne lui apparaît d’ailleurs plus comme terrifiant (le bleu à travers la fenêtre est doux, presque cotonneux, comme il le sera encore dans les deux dernières pages).

4) Le vert: dans le combat du ciel et de la terre, bleu et blanc s’allient contre rouge et vert (iconographie chrétienne : St Georges contre le dragon). Nous pouvons donc établir un lien entre cette approche chrétienne et le fait que ce conte soit un conte de Noël (donc à priori pour appliquer cette opposition à l’histoire que nous avons ici. En effet, à la fin de l’histoire, l’évolution du héros étant achevée, les trois magiciens offrent à Noël un petit compagnon vert. C’est alors qu’apparaît de manière précise (même si le vert est en faible quantité par rapport au rouge) l’opposition dont nous venons de parler.


D’une manière générale, les deux seules pages où les couleurs apparaissent de façon chaotiques sont sur le texte de la lettre trouvée dans la forêt, symbolisant la naïveté et la joie enfantine, qui apparaît à la base de l’évolution de Noël, dans un dessin représentatif et idiomatique (sapins, cœur, étoile, et même deux animaux quelque peu énigmatiques que l’on pourrait associer aux chameaux des rois mages). La seconde fois, c’est à la fin du récit, juste après une double page sombre (bleu tinté de noir). Il s’agit cette fois non plus de représentations, mais au contraire de construction réelle et matérielle, d’un rêve intérieur qui s’est matérialisé de manière constructive pour Noël, devenu alors le Père-Noël.

Essaie de lecture selon les 31 fonctions décrites dans Morphologie du conte de Vladimir Propp (1928)

https://multimedia.uqam.ca/profs/lcp/dramat/V1/recit_f/propp.html

Le héros et l’agresseur (sous toutes ses formes, bruit, nuit, famille, peur, la mort) :

Un des membres de la famille s’éloigne de la maison : « Un jour, alors qu’il se promenait dans la forêt près de sa maison ». Il se fait signifier une interdiction, par une forme inversée, une proposition : « Ouvre la lettre ».
L’agresseur du héros apparaît à travers « un bruit ».
L’agresseur (à travers les parents) tentent d’obtenir des renseignements : les parents sont agresseurs dans la mesure où ils sont l’anti-thèse de la croyance au Père-Noël. L’agresseur reçoit des informations sur sa victime « Mes joues sont toutes rouges parce que c’est ma couleur préférée ». Cette information n’est une bribe, mais elle apparue malgré elle, dans une trahison (joues rouges).
La victime se laisse tromper et aide son ennemi (la peur) malgré elle : le héros s’endort, ce qui facilite le travail de son ennemi. C’est parce que le héros s’endort que la peur cauchemardesque peut s’exprimer. L’agresseur nuit à l’un des membres de la famille et lui porte préjudice, c’est la peur. Cet agresseur est indépendant du déroulement de l’histoire car fictif (cauchemar). On retrouve cependant les thèmes de la transformation (nain magicien) et de l’emprisonnement (le lit est ambigu, avec de grands barreaux semblables à du fer).
Il manque quelque chose à un des membres de la famille : c’est le manque de force. La décision se prend malgré tout : le héros décide d’agir et quitte la maison. Cette décision va précéder la quête.
Un nouveau personnage apparaît, rencontré par hasard dans la forêt. Ils sont en réalisé trois, mais sous forme d’unité malgré tout.
Le héros subit une épreuve, un questionnaire, une attaque qui le préparent à la réception de l’objet ou auxiliaire magique. C’est la promesse du silence.
Le héros réagit aux actions du futur donateur et à son salut : l’objet magique est mis à la disposition du héros. Il est transporté près du lieu où se trouve l’objet de sa quête : il vole dans les airs.
Le héros affronte son agresseur (l’épuisement) dans un combat, la nuit éprouvante de Noël. Il reçoit une marque (la barbe). L’agresseur est vaincu par la réussite de la seconde nuit de Noël.
Le méfait initial est réparé et le manque est comblé : le manque de force. En effet, « Noël grandit. Il devint un homme très fort […] ».
Le héros revient chez lui, incognito, et retrouve une vie normale avec ses parents, sans rien dire.
On propose au héros une tâche encore plus difficile : faire le prochain voyage de Noël seul. La tâche est accomplie : « Tout se passa bien. »
Le héros reçoit alors une nouvelle apparence : une barbe blanche.
L’agresseur (la mort) est puni : « Et tu ne mourras jamais. » Il devient le Père-Noël, comme un héros de conte se marie ou monte sur le trône.

La temporalité

En référence à « Structures anthropologiques de l’imaginaire » de Gilbert Durand, dont vous pouvez trouver un résumé ici :
https://www.systemique.be/spip/spip.php?article473

On rencontre dans ce récit les trois images agressives de la temporalité :

1) Images thériomorphes : animal sauvage.
2) Images nyctomorphes : peur de la nuit, mystère, ténèbres.
3) Images catamorphes : la chute.

D’une façon générale, la temporalité a une grande importance dans ce récit. Comme beaucoup de livres de jeunesse, le thème du rite initiatique et du passage dans le monde des adultes y est abordé. Le personnage se transforme tout au long du récit, il grandit. Le temps est souvent très accéléré dans certains passages du livre, comme lors de la première nuit de Noël, où, une fois la nuit achevée, une année passe en un bref paragraphe : on ne retient de ce passage que le temps qui s’est écoulé et l’impression laissée.

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